Aix 31 mai 1826
Monsieur et cher ami,
Je viens à mon grand étonnement de recevoir de Bordeaux deux lettres que j’avais écrites il y a environ un mois à vous et à l’ami Revoil. Je les confiai maladroitement à un comte Celini qui désirait beaucoup vous voir à son passage par Lyon, et qui ayant vraisemblablement pris une autre route a trouvé tout simple de me les retourner par la poste. Qu’avez-vous pensé de mon déffaut de réponse à l’aimable lettre que vous m’avez adressée ? Je vous témoignais de mon mieux dans ma réponse le plaisir, qu’elle m’avait fait et vous remerciais de la communication de vos notices sur la statue équestre et sur mon vase vinaire. Je ne vous parlais point encore de l’acceuil fait à cette dernière par notre Société littéraire parce qu’on était occupé quant je l’y portas à entendre la lecture de divers manuscrits proposés pour être imprimés dans un nouveau volume des mémoires de la Société. Je l’avais laissé entre les mains du secrétaire, et il fût entendu avec grand intérêt dans une séance subséquente ou je le communiquai comme homage d’un membre correspondant dont la Société s’honore. Je fut chargé par elle de vous en témoigner sa reconnaissance.
J’ai appris avec chagrin par Made Revoil que vous avez fait une chute de laquelle sont résultées des meurtrissures assez fortes j’espère que vous ne vous en ressentirez plus quant celle-ci vous arrivera. Je n’ai pas le courage de remplacer auprès de Revoil la lettre dont il m’a été fait retour. Son beaupère est si dangereusement malade, que je ne saurais comment lui en parler, ignorant jusqu’à quel point on l’a instruit de son état. Cependant comme je tiens à ce qu’il sache que je lui avais écrit, faites-moi, le plaisir de lui conter l’aventure arrivée à mes lettres.
On ne vous avait pas trop dit en vous disant qu’on avait vû chez moi un vase cinéraire de terre, parfaitement beau. il est très remarquable par le sujet, la disposition des figures et la pureté des contours. Huit figures forment le cortège représenté autour du vase. La femme du déffunt lève les mains au ciel avec une expression de douleur étonnante. Ce sentiment est partagé par son fils, jeune homme d’une douzaine d’ans, que conduit une femme plus âgée. Trois autres femmes portent l’urne cinéraire et d’autres vases. Enfin le temps brise sur son genou l’épée du déffunt, et un amour éteint son flambeau. Les anses sont formées de deux têtes de pleureuses, et une fleur de pavot termine le couvercle. Tel est ce vase très remarquable qui n’a de commun que sa matière. Je veux vous donner l’envie de le voir pour que cella stimule votre curiosité et vous renforce dans le projet que vous m’annoncer de venir nous faire une visite avant l’hiver prochain. Je vous promets en outre la vüe de nombre d’objets qui vous intéresseront.
J’aurais bien désiré voir Mr Champolion lors de son passage par [lacune] quand il se rendit à Turin ; j’étais je crois à la campagne quant il y vint. J’espérais être plus heureux à son retour et voilà qu’il vient d’être nommé directeur d’un musée en Italie ce qui doit retarder encore sa visite. Cependant comme il est impossible qu’il ne vienne visiter de temps en temps notre capitale, veuillez bien lui recommander dans votre lettre qu’il n’oublie pas ma collection : j’ai bien de papirus à ma disposition, mais puisque tous sont roulés et le plus grand nombre doit être des extraits de rituels de sorte que je perdrais peut-être beaucoup de temps et de peine à faire copier des légendes insignifiantes, il vaut beaucoup mieux qu’il commence par les voir.
Vous avez été il n’y a pas longtemps à Nismes avez-vous trouvé chez Aubanel des objets dignes de votre curiosité. On m’a dit qu’il avait quelques médailles grecques auxquelles il attache beaucoup de prix ; mais il court en l’état des contrefaconz tellement parfaites qu’il faut y regarder à deux fois avant que de se livrer à acheter chèrement. Bien agréer mon cher ami l’assurance de la bien sincère affection de votre très humble et affectionné serviteur.
Sallier
Je vous renverrai votre mémoire si on veut s’en charger a la poste si non j’attendrai une occasion.