Cette grande exposition est consacrée à l'art de l'après seconde guerre mondiale, en Europe et en Amérique du nord. Nombre d'artistes choisissent de Repartir à zéro, de peindre comme si la peinture n'avait jamais existé, pour reprendre la formule du peintre américain Barnett Newman.
L'exposition propose d'explorer le foisonnement de la création à cette époque. Elle présente les œuvres de quelques personnalités reconnues : Jackson Pollock, Barnett Newman, Mark Rothko, Willem de Kooning, Jean Fautrier, Pierre Soulages, Germaine Richier... Mais elle donne aussi l'occasion de découvrir d'autres artistes moins célébrés aujourd'hui :
- d'Europe : Asger Jorn et le groupe CoBrA, Antoni Tapiès, Carl Buchheister, Lucio Fontana
- de
- du Canada : Jean-Paul Riopelle.
L'exposition montre parallèlement des ensembles monographiques exceptionnels.
Cette période est un moment décisif dans la carrière de quelques-uns des plus grands artistes du XXe siècle Pollock, Newman, Rothko, Soulages, Fontana qui créèrent alors certains de leurs chefs-d'œuvre. Beaucoup de ces chefs-d'œuvre sont rassemblés ici pour la première fois.
Commissariat :
Eric de Chassey, professeur à l'Université François- Rabelais de Tours, membre de l'Institut universitaire de France
Sylvie Ramond, conservateur en chef du patrimoine, directeur du Musée des Beaux- Arts.
Cette exposition est reconnue d'intérêt national par le Ministère de la culture et de la communication / Direction des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d'un soutien financier exceptionnel de l'Etat.
Exposition ouverte du mercredi au lundi de 10h à 18h, le vendredi de 10h30 à 18h00.
Fermée les mardis et jours fériés.
Parcours dans l'exposition
1945
Le monde se réveille du long cauchemar de la seconde guerre mondiale, avec joie et désespoir. Joie d'une liberté retrouvée, désespoir de constater que le pire a eu lieu, et que l'humanité
a prouvé qu'elle était capable de se détruire elle-même, jusqu'à l'innommable
1949
Le monde occidental se sépare en deux camps, Est et Ouest, communiste et capitaliste. La guerre froide s'installe pour longtemps.
Entre 1945 et 1949 et pendant ces cinq années, la création artistique connaît en Europe et en Amérique du nord un étonnant foisonnement. Si quelques artistes déjà célèbres avant guerre poursuivent leurs recherches sans remise en cause fondamentale des modes d'expression, d'autres en revanche vont mettre ou remettre en chantier leur pratique, jusqu'à souhaiter réinventer l'art et l'acte même de peindre ou sculpter. Ce sont les œuvres de ces expérimentateurs que l'exposition Repartir à zéro réunit et confronte sans l'exposition.
Marqués par une commune volonté de trouver des réponses formelles à l'expérience partagée du traumatisme, ces artistes ont éprouvé la nécessité de faire table rase, brouillant les frontières entre abstraction et figuration. Longtemps, l'histoire de l'art n'a retenu qu'un tout petit nombre d'entre eux. L'exposition propose aujourd'hui de les redécouvrir en confrontant leurs recherches à celles de leurs contemporains un peu oubliés.
Puisant en eux-mêmes ou dans les cultures les plus lointaines les ressources pour de nouvelles aventures picturales, ces artistes ont mené des recherches qui révèlent une étonnante unité du monde occidental, de la côte ouest des États-Unis aux frontières orientales de l'Europe, en ce temps historique singulier.
Et s'il existe des décalages chronologiques, des inflexions locales ou individuelles, des aspirations politiques divergentes parfois, force est de constater que l'universalité du traumatisme a trouvé sa formulation à travers un vocabulaire plastique similaire.
0 / Expérimenter [pendant la guerre]
Pendant la guerre, certaines des figures les plus importantes de la scène artistique allemande se sont livrées à des expérimentations radicales. Willi Baumeister en particulier, et Franz Krause avec lui, ont élu cette solution pour déjouer la censure totalitaire. Interdits d'activité artistique par les Nazis, ils ont engagé à partir de 1941-1942 des recherches sur l'application de laque sur différents supports, dans le cadre d'un contrat de recherche pour une usine de peinture de Wuppertal.
Ces expérimentations singulières explorent de nouvelles formes d'abstraction. Elles semblent avoir anticipé la plupart des solutions plastiques qui seront choisies après la guerre, par eux-mêmes et d'autres artistes.
1 / Témoigner
Face aux horreurs de la guerre, à ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas, certains artistes s'efforcent de témoigner de ce qu'ils perçoivent des destructions et horreurs auxquelles ils assistent ou dont ils sont informés.
Pour eux, les expériences traumatiques ont rendu radicalement inadéquats les moyens de représentation traditionnels.
Dans un contexte historique où la photographie documentaire est omniprésente, ils évitent la représentation descriptive et cherchent d'autres moyens de montrer l'infigurable de ce qui est advenu, travaillant notamment au plus près de la matière brute, inventant de nouveaux outils.
Jean Fautrier et Olivier Debré en France, Władysław Strzemiński en Pologne, réagissent immédiatement aux atrocités perpétrées par les nazis, en particulier la destruction des juifs d'Europe, sans pour autant en avoir été eux-mêmes les victimes.
2 / Balbutier
Le constat que la civilisation rationnelle occidentale et la foi dans le progrès sont à l'origine des désastres de la guerre conduit de nombreux artistes à se tourner vers des modèles dits « primitifs ». Sur les ruines du surréalisme (mouvement fondé par le poète André Breton en 1924), l'art tente d'explorer les zones les plus profondes de l'esprit humain. Il interroge également le corps et les relations entre l'intérieur et l'extérieur de l'organisme, le macrocosme et le microcosme.
Qu'ils soient à Paris, à New York, à Barcelone ou ailleurs, certains artistes montrent un intérêt marqué pour l'art préhistorique, océanien ou amérindien, pour le graffiti urbain ou l'art des malades mentaux et des enfants. Ces expressions artistiques ouvrent à de nouveaux possibles. Peintres ou sculpteurs tentent de retrouver une naïveté première, se laissant surprendre par ce qui survient dans le processus de création lui-même : leurs œuvres ne cherchent pas à délivrer une parole cohérente et abolissent les distinctions entre la figuration et l'abstraction.
"L'art est toujours l'expression d'une révolte et d'une lutte. L'homme de progrès et l'art de progrès sont identifiés à cette lutte, intellectuellement et anthropologiquement. C'est notre histoire comme artistes. C'est l'histoire de l'homme comme primate." David Smith, 1947
3 / Explorer
Depuis la fin des années 1930, tandis que la guerre d'Espagne divise l'Europe et que montent les fascismes, des peintres américains reprennent des sujets mythologiques issus de différentes traditions, seuls à même, selon eux, de rendre compte de l'époque dans laquelle ils vivent.
Au lendemain de la guerre, certains abandonnent progressivement la figuration qui leur semble prisonnière de la narration et de l'anecdote, affirmant que c'est la seule façon de traiter des sujets « tragiques et intemporels ».
Ayant quitté la ville de New York pour la campagne en novembre 1945, Jackson Pollock se laisse envahir par les sensations de la nature où il se plonge sans distance, avant de limiter ses moyens à des coulures colorées. Explorant la surface de la toile posée au sol, il rend compte de ce moment instable où la création se donne comme telle - entre ordre et chaos. Sa peinture propose-t-elle encore des images ? Ou bien est-elle d'abord la trace d'un geste subjectif auquel le spectateur est invité à s'identifier ?
Dans les tableaux de Mark Rothko subsistent longtemps des morceaux de figures baignés dans une couleur liquide. À partir de 1948-1949, ses compositions se restreignent à la superposition de rectangles de couleur. Elles absorbent dans leur profondeur lumineuse les corps qui s'y confrontent avec l'intention de communier avec les forces primordiales.
"Un tableau doit être une révélation, la résolution inattendue et sans précédent d'un besoin éternellement familier." Mark Rothko, 1947
4 / Tracer
En Europe aussi bien qu'en Amérique, la volonté de faire de chaque œuvre une aventure nouvelle conduit les artistes à créer des tableaux ou des sculptures sans en présupposer ni la signification ni la composition.
Se présentant comme la trace de l'action et du geste, les œuvres sont alors valorisées dans la mesure où elles peuvent être lues comme l'expression directe du corps de l'artiste.
Hans Hartung
Hans Hartung, artiste allemand résidant à Paris apparaît dès 1945 comme l'un des héros de cette abstraction gestuelle qu'on appellera volontiers « lyrique », avec ses compositions où des signes vigoureux s'équilibrent dynamiquement.
Le film d'Alain Resnais de 1947, donne l'illusion de voir l'artiste en pleine création spontanée. Pourtant, on sait aujourd'hui qu'il s'agit en grande partie d'une simulation et que la plupart des tableaux de Hartung ont été réalisés à partir de l'agrandissement de petites esquisses, vieilles parfois de plusieurs années. Les recherches au pastel sur papier constituent une étape intermédiaire dans ce processus. Serait-ce le moment où l'équilibre entre l'improvisé et le construit est le plus juste ?
Antonio Saura
Après des années d'adolescence marquées par la maladie, Antonio Saura s'engage dans une recherche artistique à partir de 1947.
En hommage à l'artiste catalan Joan Miró qu'il admire, il réalise une série qu'il nomme les Constellations (Constelaciones) , travaillant sans idées préconçues, laissant la main et l'outil tracer. Sur des fonds colorés, des formes et des signes qui semblent empruntés à des cultures lointaines ou ancestrales rythment l'espace, conduisant le regard à s'immerger dans un univers onirique et stellaire. Au caractère apparemment enfantin s'oppose la trace d'une certaine agressivité qui se manifeste par les griffures répétées.
La notion d'automatisme a été créée dans les années 1920 pour désigner des démarches artistiques reposant sur des associations d'images. À partir de 1944, le procédé ressurgit, mais d'une façon plus strictement plastique. Des peintres et des sculpteurs laissent couler leurs matériaux en lacis spontanés, assemblent des fragments de lignes avec leur crayon ou leur fer à souder.
Les œuvres nées de ces actions présentent de nombreux points communs formels, mais les intentions et les significations peuvent en être très différentes.
Pour certains, il s'agit de matérialiser la subjectivité du créateur et de la communiquer directement au spectateur. Pour d'autres, ce qui prime est l'exploration de l'acte de peindre et de toutes ses composantes : le support, les choix techniques, etc. L'?uvre se fait elle-même, sans que l'artiste lui donne des significations a priori.
Le sens politique que l'on attribue alors à cette méthode est également divergent. Chez les artistes tchèques ou polonais par exemple, elle est considérée comme une exploration matérialiste, qui prépare l'installation de la société communiste. Chez les artistes américains, elle est au contraire le moyen d'insister sur la valeur en soi de la découverte individuelle.
Refus global. Cela seul a permis et permettra des œuvres, sœurs de la bombe atomique, qui appellent les cataclysmes, déchaînent les paniques, commandent les révoltes, et préfigurent à la fois, par delà toutes les valeurs reconnues, l'avènement prochain d'une civilisation nouvelle. Manifeste des Automatistes québécois, 1948
5/ Saturer
En marge de leurs travaux documentaires, de nombreux photographes créent également des images qui s'apparentent aux recherches de la peinture abstraite.
Qu'elles prennent des objets pour point de départ (en les rendant parfois méconnaissables par l'usage du gros plan ou du flou) ou qu'elles soient réalisées sans appareil, en faisant subir au négatif des manipulations parfois violentes, les images réalisées évoquent souvent des paysages ou des phénomènes naturels.
Très tôt, le travail de ces photographes a été associé à celui des peintres : lors de la grande exposition d'art moderne de Cracovie de 1948 par exemple ou à l'occasion de la publication de revues dirigées par les artistes eux-mêmes (comme celles émanant des groupes Ra ou CoBrA en Europe, ou la revue Tiger 's Eye aux États-Unis).
En savoir + sur Asger Jorn
6 / Remplir / Vider
Pour nombre d'artistes, il est nécessaire d'effacer le trop plein d'images que les générations précédentes leur ont laissé. L'un des moyens d'élaborer une peinture sans surcharge de références est alors de remplir la surface de formes et de couleurs, en évitant une composition prédéterminée, et en suggérant que les jeux des matières et matériaux sont analogues aux forces vitales à l'œuvre dans le monde. À cette fin, les peintres recourent à la répétition, à la superposition de formes, à l'application de taches ou de champs de couleurs, couvrant le support dans sa totalité.
Si cette opération de remplissage peut parfois prendre un tour négatif voire destructeur, elle peut également s'interpréter comme une dissolution de la surface qui permet de la reconstruire à nouveau, dans un processus continu, comme si chaque toile représentait la genèse d'un monde nouveau.
"Ce qu'il faut faire, c'est de toujours être en train de commencer à peindre, de ne jamais finir de peindre." Arshile Gorky, 1948
Bram Van Velde
À partir de 1946, Bram Van Velde, qui vivait jusque-là dans une solitude presque complète, commence à bénéficier d'expositions personnelles, à Paris puis à New York. Après une longue période expressionniste, il amorce un processus de dé-figuration. Les allusions au monde visible disparaissent de ses toiles. Le cerne et la surface, le trait et la plage colorée ne sont plus nettement séparés. Ils se confondent désormais dans une imbrication de formes simples. Aucune ouverture sur le fond ni suggestion de profondeur ne peuvent être relevées. Comme le suggère alors son ami l'écrivain Samuel Beckett, « Bram van Velde peint l'étendue » et « puisque avant de pouvoir voir l'étendue, à plus forte raison la représenter, il faut l'immobiliser, (il) se détourne de l'étendue naturelle, celle qui tourne comme une toupie sous le fouet du soleil ».
"Je ne fais pas de la peinture. Je tâche de rendre visible les phénomènes de notre époque ; ils sont nombreux, et je perds souvent la trace." Bram Van Velde, 1948
En savoir plus sur Le Cheval majeur de Bram van Velde
Soulages / Fontana / Newman
Parmi les expériences plastiques de l'après-guerre, les solutions minimales sont rares. Au même moment, mais en toute indépendance, trois artistes créent des œuvres qui présentent une surface monochrome, comme un vide ou une tabula rasa , que n'interrompt qu'un seul événement, éventuellement répété.
À Paris, Pierre Soulages trace au brou de noix ou au goudron, sur papier ou sur verre, des traits épais qui ne font rien d'autre dans un premier temps qu'occuper une surface. Comme il le dit dans un texte de 1948, la forme y est disponible pour que « viennent se faire et se défaire les sens qu'on lui prête ».
À Milan, Lucio Fontana abandonne en 1949 les céramiques baroques qui ont fait sa réputation. Il attaque la toile ou le papier par une succession de crevaisons, ouvrant ainsi la surface à l'espace qui se trouve devant et derrière elle.
À New York, tandis qu'il évoque en peinture les épisodes bibliques de la Genèse, Barnett Newman entreprend en 1946 une série de dessins où l'encre noire fait surgir la surface blanche du papier, comme une présence active en même temps qu'un vide vertigineux. Il s'agit pour lui, littéralement, de « repartir à zéro ».