Le Génie de l’Orient, Lyon et les arts de l’Islam
Parcours de l’exposition-dossier
Au XIXe siècle, Lyon joue un rôle particulier dans la découverte des arts de l’Islam. Dans cette ville prospère engagée dans le développement industriel et bancaire, les grands bourgeois aiment à s’entourer d’objets précieux. À partir des années 1860, certains de ces collectionneurs se passionnent pour les objets de l’Espagne musulmane, du Maghreb, d’égypte, de Turquie ou encore du Proche et Moyen-Orient.
Sur le modèle des grands musées européens et sous l’influence de ces amateurs éclairés, les musées lyonnais constituent peu à peu des collections « d’art oriental » et de grandes expositions sont organisées, dans le but explicite de renouveler le regard des artisans et de favoriser ainsi la création artistique. Sous l’influence de cette vogue « orientalisante », la « mauresque » et « l’arabesque » comptent bientôt parmi les ornements privilégiés de la soierie lyonnaise.
C’est cet engouement lyonnais pour les arts de l’Islam que cette exposition propose de découvrir.
1. 1800-1850 : Découvrir / s’émerveiller
Au début du XIXe siècle, on note déjà la présence d’objets d’art islamique dans certaines collections privées ou même au Palais des Arts, premier musée de Lyon. Ces pièces, perçues génériquement comme « orientales », se confondent encore avec d’autres « curiosités ».
Si Lyon compte toujours des collectionneurs d’antiquités, artistes, érudits ou négociants montrent une inclination pour l’art dit du « Moyen Âge », entendu dans une acception très large. Leurs collections comprennent ainsi quelques pièces originaires d’un Orient encore mal défini. Un marché de l’art et de la curiosité florissant peut fournir le musée et des amateurs d’objets anciens.
Dès 1813, au Palais des Arts situé dans l’ancienne abbaye des Dames de Saint-Pierre, une grande variété d’objets appartenant à des univers différents sont exposés dans la « salle des antiques » : amulettes égyptiennes, antiquités des Indes, « fétiche » du Sénégal, vases du Pérou, porcelaines de Chine et du Japon. Dans ce pêle-mêle d’objets exotiques, se trouvent une aiguière et son bassin en céramique produits en Iran au XVIIe siècle, achetés à un brocanteur en 1810 par Jean-Claude Fay de Sathonay, maire de Lyon.
En janvier 1827, à l’Hôtel de Ville, est organisée une exposition « d’Art ancien ». Dans la salle réservée aux « curiosités étrangères » sont déjà présentées quelques rares pièces islamiques. Malgré cette curiosité pour un art nouveau, la collection d’art islamique du musée est encore modeste vers 1850 : elle est essentiellement composée d’objets ayant appartenu à deux collectionneurs, le marquis de Migieu et Jacques-Antoine Lambert, auxquels s’ajoute un lot d’objets de provenance inconnue.
2. 1850-1900 : Rassembler / collectionner
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’essor économique de la ville de Lyon favorise la fortune de certaines familles et le développement d’importantes collections. Le goût des amateurs pour les arts de l’Islam se précise.
Notables lyonnais, ces amateurs appartiennent au milieu de la soie ou de la finance. Vers le milieu du siècle, ils quittent progressivement l’ère de la curiosité et constituent désormais de véritables collections d’art décoratif. Les objets sont alors rassemblés par techniques : céramique, orfèvrerie, ivoire, textile, etc. La plupart de ces amateurs se réunissent chez le peintre et graveur orientaliste lyonnais Georges Duseigneur, devenu marchand d’art vers 1880. Il partage avec son frère Raoul, la passion des arts orientaux. Tous deux accompagnent les choix des collectionneurs, notamment parisiens, comme la marquise Arconati-Visconti.
À Lyon, parmi leurs relations, on trouve l’industriel Émile Guimet qui prépare l’ouverture d’un musée consacré aux « religions orientales » près du nouveau parc de la Tête d’Or, le docteur Raymond Tripier, le financier Prosper Holstein, Maurice Chabrières-Arlès, trésorier général des Finances du Rhône et Jean-Baptiste Giraud, négociant en soieries, futur conservateur des Objets d’art au musée du palais Saint-Pierre.
L’une des collections les plus riches de la ville est alors celle du banquier et homme politique Édouard Aynard. Exposée dans un salon de son hôtel particulier à proximité du parc de la Tête d’Or, sa collection comprend des peintures, des sculptures, des majoliques italiennes, des porcelaines extrême-orientales et divers objets et textiles islamiques.
3. 1850–1900 : Copier / créer
Soucieuse d’une concurrence de plus en plus forte en Europe pour le commerce de la soierie, la chambre de Commerce de Lyon cherche à renforcer les moyens de développer la créativité des artisans en proposant de nouvelles ressources notamment par la création d’un musée « d’Art et d’Industrie ».
Conçu sur le modèle du South Kensington Museum de Londres (actuel Victoria and Albert Museum), un musée d’Art et d’Industrie est inauguré le 6 mars 1864 dans le nouveau palais du Commerce de Lyon, récemment construit. Les arts islamiques figurent en bonne place dans les collections. Avec leur décor d’entrelacs et d’arabesques, ces objets et textiles « orientaux » offrent un magnifique champ d’étude de l’ornement. Ils témoignent également de la maîtrise de techniques complexes (lustre métallique des céramiques hispano-mauresques, incrustations d’or et d’argent des métaux).
À partir de 1879, une galerie du musée d’Art et d’Industrie est consacrée à « l’histoire artistique et industrielle de la fabrication des étoffes depuis les temps les plus anciens, tant en Occident qu’en Orient ». En 1890, Édouard Aynard, devenu président de la chambre de Commerce, propose de consacrer exclusivement ce musée aux collections de tissus. Il s’agit d’offrir une histoire universelle de la décoration textile et de mettre à la portée des dessinateurs des œuvres originales à étudier. La valeur éducative de ce nouveau « musée des Tissus » est une priorité, à l’heure où l’industrie de la soie est obligée de se transformer pour lutter contre la concurrence des fabriques étrangères. Puisant dans ce corpus, comme dans les répertoires d’ornements, artistes et artisans développent de nouveaux décors. Les soieries lyonnaises de la seconde moitié du 19e siècle présentées dans cette partie de l’exposition ont pour modèles des textiles persans, des arabesques hispano-mauresques, s’inspirent de la technique des velours ottomans, ou encore des décors des céramiques d’Iznik.
4. 1879–1910 : Acquérir / présenter
À la fin du XIXe siècle, le Palais des Arts est encore constitué de plusieurs musées dont les « musées archéologiques » consacrés aux objets d’art. À partir de 1878, on constate un développement de cette collection, marqué notamment par le goût pour l’art « oriental ».
En 1878, Édouard Aynard et Maurice Chabrières-Arlès sont désignés respectivement président et vice-président du conseil d’administration des musées du palais Saint-Pierre (actuel musée des Beaux-Arts) tandis que Jean-Baptiste Giraud est chargé, à partir de 1879, des « musées archéologiques » qui constituent aujourd’hui l’essentiel du département des Objets d’art. Nourris par leur expérience de collectionneurs, les trois hommes engagent une politique d’acquisition sans précédent depuis la création du musée. En créant une section d’art islamique, ils sont conscients d’entraîner l’institution dans le sillage des grands musées parisiens et européens. Édouard Aynard souhaite en effet que le musée de Lyon soit le « premier de France après le Louvre ». Selon lui, la seule manière d’y parvenir consiste à acquérir des œuvres exceptionnelles.
De 1879 à 1895, un quart des objets qui enrichissent le département des Objets d’art sont des œuvres islamiques. Les achats se font auprès de marchands parisiens ou lors de grandes ventes aux enchères. Ces objets réunis en quelques années seulement, alors que les opportunités sont encore nombreuses, constituent aujourd’hui l’une des plus remarquables collections d’art islamique en France.
5. 1877 et 1894 : Promouvoir / diffuser
En 1877 et en 1894, deux grandes expositions permettent aux Lyonnais de découvrir et de mieux apprécier les productions de l’art islamique.
En 1877, alors que la ville est éprouvée par une crise économique, est organisée au musée d’Art et d’Industrie de Lyon une Exposition rétrospective d’art ancien dont les recettes doivent être reversées aux ouvriers sans travail. Les œuvres présentées sont empruntées majoritairement aux amateurs de la ville. Jean-Baptiste Giraud est chargé de l’organisation et de l’installation de l’exposition, laquelle connaît un véritable succès. Pour la première fois à Lyon, des céramiques et des textiles islamiques sont exposés aux côtés des objets d’art occidentaux.
En 1894, au sein de l’Exposition universelle de Lyon établie sur le site du parc de la Tête d’Or, la chambre de Commerce organise une « Exposition coloniale » dont le cadre architectural reproduit des monuments existant dans certains des territoires annexés par la France au fil du siècle : un palais du Tonkin et de l’Annam, un palais de l’Algérie, un palais de la Tunisie. Un bâtiment de 1400 m2, à l’architecture intérieure inspirée de la grande salle de la mosquée de Cordoue, abrite une « Exposition d’art oriental » qui comprend, pour la première fois à Lyon, une section entière consacrée à l’art « musulman ». Quarante-deux particuliers et quelques institutions ont accepté de participer à la manifestation. Plus d’un millier de « précieux spécimens des arts d’Orient » sont ainsi présentés et offerts à l’admiration de nombreux visiteurs.