#Exposition archivée

Juliette Récamier, muse et mécène

affiche Juliette Récamier
Introduction

D'origine lyonnaise, Juliette Récamier (1777-1849) reçut dans son salon toutes les personnalités importantes de son temps, la première moitié du XIXe siècle.

L'exposition propose d'explorer ce personnage à travers son rapport aux arts. Juliette Récamier fut en effet tour à tour : modèle , commanditaire , collectionneuse et initiatrice d'un nouveau goût.

 

Les différentes sections de l'exposition permettront de :
- rassembler une importante sélection de ses portraits tout au long de sa vie ;
- découvrir les cercles artistiques et littéraires gravitant autour de Juliette Récamier ;
- Confronter les œuvres et objets provenant de ses collections ;
- Comprendre son usage des arts pour servir son image ;
- Poser la question de l'influence de Juliette Récamier sur les arts de son temps et de sa postérité auprès des artistes.


Commissariat :

Stéphane Paccoud, conservateur du patrimoine, chargé des collections de peintures et de sculptures du XIXe siècle,
assisté de :
Gérard Bruyère, bibliothécaire, musée des Beaux-Arts de Lyon,
Jehanne Lazaj, conservateur du patrimoine, ministère de la culture.
Sophie Picot-Bocquillon, historienne de l'art.

Cette exposition est reconnue d'intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication / direction des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d'un soutien financier exceptionnel de l'Etat.

"Bonjour, je m'appelle Juliette Récamier."

J'habite dans un appartement à l'Abbaye-aux-Bois, un couvent au cœur de Paris. Je vis seule, mais ma nièce Amélie vient souvent me voir avec ses trois enfants. Ce soir, nous sommes le 3 décembre 1848. C'est mon anniversaire, mes amis sont venus fêter mes 71 ans. Aujourd'hui, je suis une vieille dame qui perd la vue ; mais quand j'étais Juliette, jeune et élégante, tout Paris me célébrait comme une des plus belles femmes qui soient.

J'ai eu une longue vie, et j'ai vu la France traverser tant d'aventures et de drames ! Une révolution, un Empire, des années de guerre, deux Républiques…. Quelle époque, mon Dieu, on ne sait jamais ce qui va se passer ; encore cette année, nous avons vu une nouvelle révolte et un nouveau régime.

Mon enfance, de Lyon à Paris

J-B. Augustin, Juliette Récamier, v. 1801, gouache sur ivoire, Paris, musée du Louvre.
J-B. Augustin
Juliette Récamier, v. 1801, gouache sur ivoire, Paris, musée du Louvre.

Je suis née à Lyon, le 3 décembre 1777. J'ai grandi dans le quartier des Terreaux, à côté de l'abbaye des Dames de St Pierre. Mon prénom est Julie, mais je me ferai plus tard appeler Juliette. Mon père, Jean Bernard, est notaire. J'ai neuf ans quand il est appelé à travailler pour le Ministre des Finances : mes parents partent vivre à Paris.

Moi, je reste à Lyon, on m'a mis en pension au couvent de la Déserte, au bas des pentes de la Croix-Rousse. J'y apprends les bonnes manières, la musique, la danse, toute l'éducation qu'une jeune fille doit avoir pour être un bon parti.

Enfin, je rejoins ma famille à Paris ! J'ai presque onze ans. Je découvre la capitale, mais en arrivant je trouve mon père inquiet : il sait que les finances du pays vont très mal. Le Roi et la reine ont perdu l'amour du peuple, il n'y a plus d'argent et les gens ont faim.

 

Une jeune fille sous la Révolution

J. Chinard, Liberté et Egalité,1793, plâtre, Lyon, musée des Beaux-Arts
J. Chinard
Liberté et Egalité,1793, plâtre, Lyon, musée des Beaux-Arts

On publie la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui enseigne que tous les hommes naissent libres et égaux. Je comprends mal ce qui se passe, mais je sens que nous vivons une époque exceptionnelle où plus rien ne sera comme avant. Tout cela est d'abord très exaltant, mais au fil des mois les tensions montent. J'entends dire que le roi n'a pas accepté la situation, qu'il a tenté de s'enfuir, qu'il est maintenant emprisonné. Le 17 janvier 1793, il est condamné à mort. La reine le sera aussi quelques mois plus tard. 

Mon père est soupçonné d'être un partisan du roi. Tout le monde a peur, les royalistes sont arrêtés et guillotinés. Mes parents décident de me marier. J'ai 15 ans et demi, et on me fiance à Jacques Récamier, un banquier  de 42 ans, un des meilleurs amis de mes parents. Lui aussi a peur d'être arrêté. Nous nous marions à Lyon en avril 1793 et repartons vivre à Paris. Nous avons de la chance : quelques semaines plus tard, Lyon se révolte contre le gouvernement révolutionnaire, et est assiégée par l'armée de la Convention.

A Paris, la situation est aussi tendue. Pendant les années de la Terreur, mon mari me tient le plus loin possible de la société parisienne. Mais dès que la France connait un nouveau régime, le Directoire, il ne peut m'empêcher de sortir et participer aux soirées mondaines.  J'ai eu assez peur, maintenant je veux m'amuser, voir du monde, mettre de belles tenues !

Mes années mondaines : ma maison

E. Morin, Portrait de Juliette Récamier, 1799, Musée National des Châteaux de Versailles et de Trianon
E. Morin
Portrait de Juliette Récamier, 1799, Musée National des Châteaux de Versailles et de Trianon

Les affaires de Jacques vont incroyablement bien, et nous faisons maintenant partie des plus grandes fortunes du pays. Mon mari sera même nommé à la direction de la Banque de France ! Il a acheté l'hôtel particulier d'un ancien ministre, dans un quartier à la mode. C'est une splendide maison que je fais redécorer de la façon la plus moderne : on crée spécialement pour moi des meubles inspirés de l'Antiquité, je décore les murs de tableaux, de miroirs, de rideaux et tentures de soie. Des grands vases, des statues, des coupes… sont placés sur les petites tables ou les cheminées.

Dans ma chambre, un grand voile de soie entoure mon lit, comme un trône. J'ai même une salle de bains avec - quel luxe ! – une baignoire !

Mon jardin est aussi un lieu important ; j'aime m'y promener avec mes amis et j'y fais cultiver les plus belles fleurs.

Ma maison devient le lieu le plus à la mode de Paris : tout le monde veut la voir et y être invité.

 

 

Je suis "la beauté à la mode"

On me dit une des plus belles femmes d'Europe – je fais très attention à mon apparence et j'adore la mode. Je ne m'habille qu'en blanc, et change de robe plusieurs fois par jour. Je lance de nouvelles tenues : dès qu'on me voit à une soirée, on m'imite.

Nous menons une vie de fêtes, où toute la haute société défile et vient m'admirer. J'adore la danse, je vais à tous les bals et j'en organise chez moi : je suis toujours la première arrivée et la dernière partie.

Je suis une célébrité : il arrive que les gens m'arrêtent dans la rue, se pressent autour de moi. Des gens venus de tous les pays d'Europe demandent à me rencontrer. Même les familles royales entendent parler de moi.

la Cour de Londres, on parle de moi comme d'une « fashionable beauty » (une « beauté à la mode »). La France et l'Angleterre sont en guerre à l'époque, mais je profite d'une trêve pour aller à Londres, et je suis reçue par le Prince de Galles. Il m'emmène à l'Opéra, et là-bas, je suis assaillie par une foule d'admirateurs. Heureusement que le Prince était là pour me protéger !

Les hommes me font la cour : même Lucien Bonaparte est amoureux de moi. Lucien, c'est le frère de ce Napoléon Bonaparte dont tout le monde parle, et qui après ses exploits militaires est en train de faire une belle carrière politique : voilà qu'on a encore changé de gouvernement, et sous le Consulat c'est justement Napoléon Bonaparte qui fait partie des trois consuls qui dirigent la France. Après avoir été simple soldat, puis caporal, il est maintenant Premier Consul !

 

Cette robe a été faite à partir de coton venu d'Inde : à l'époque c'était un produit de luxe.

Robe en mousseline, Directoire ou Consulat, Lorient, Musée de la Compagnie des Indes
Robe en mousseline, Directoire ou Consulat, Lorient, Musée de la Compagnie des Indes
Corset, Epoque Empire, musée Galliera, Paris
Corset, Epoque Empire, musée Galliera, Paris
Robe à manches longues « en Amadis », époque Directoire, toile mousseline, coton blanc, broderies blanches en semis de fleurs, Paris, Galliéra – musée de la mode de la ville de Paris
Robe à manches longues « en Amadis », époque Directoire, toile mousseline, coton blanc, broderies blanches en semis de fleurs, Paris, Galliéra – musée de la mode de la ville de Paris
Robe en mousseline d'après-midi, Premier Empire, musée des Tissus de Lyon
Robe en mousseline d'après-midi, Premier Empire, musée des Tissus de Lyon

Mes portraits

Joseph Chinard, Juliette Récamier, 1805-1806, buste, marbre, Lyon, musée des Beaux-Arts
Joseph Chinard
Juliette Récamier, 1805-1806, buste, marbre, Lyon, musée des Beaux-Arts

Je suis une des femmes les plus représentées de l'époque, on trouve autant d'images de moi que des princesses d'Europe.

Depuis ma jeunesse, les peintres ont fait mon portrait : soit à ma demande, soit sur celle de mon mari ou de ma famille, ou même simplement de gens qui m'admirent, qui veulent conserver mon image chez eux.  

Par exemple, j'ai commandé mon portrait aux peintres les plus célèbres de l'époque, comme Jacques-Louis David, qui fera plusieurs portraits de Napoléon ! Il m'avait représentée dans une robe blanche à drapé, comme une statue romaine, allongée sur un divan qu'on appelle aujourd'hui grâce à moi un Récamier ! Mais je n'ai pas aimé le tableau, je l'ai trouvé triste et sévère, et David ne l'a pas terminé. Je préfère de beaucoup le portrait de François Gérard, où je suis assise et je me penche vers le spectateur en lui souriant. Je me trouve beaucoup plus séduisante !

F. Gérard, Portrait de Juliette Récamier, vers 1805,  Musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon
F. Gérard, Portrait de Juliette Récamier, vers 1805, Musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon

Il y a quelques années seulement, en 1839, est apparue une invention incroyable : la photographie ! mais auparavant, la seule façon de pouvoir conserver l'image des gens qu'on aime était de commander un portrait à un peintre ou un sculpteur.

Il vient chez vous ou vous allez dans son atelier ; vous choisissez ensemble une tenue, une pose, un décor. Les grands portraits où l'on apparaît entièrement, de la tête aux pieds, coûtent très cher, mais on peut aussi avoir juste son buste peint ou sculpté, et même avoir son portrait en miniature, sur des médaillons de quelques centimètres. J'offre ces tout petits portraits à mes amis, à ma famille, aux gens qui m'aiment : ils le gardent sur eux, dans leur poche ou une bourse, ou le portent au cou, et le sortent pour me regarder quand ils pensent à moi. C'est très romantique !

 

Exil en Italie

Elisabeth Louise Vigée Le Brun, Madame de Staël et sa fille, huile sur toile, Château de Coppet, Suisse.
Elisabeth Louise Vigée Le Brun, Madame de Staël et sa fille, huile sur toile, Château de Coppet, Suisse.

La France a maintenant un Empereur : Napoléon a été sacré le 2 décembre 1804. Avec lui, la France est devenue le pays le plus puissant d'Europe, mais c'est au prix de guerres toujours plus longues. Toute l'Europe est maintenant en guerre. 

L'Empereur ne m'aime pas. D'abord je suis l'amie de plusieurs personnes qui osent le critiquer, ensuite je reçois beaucoup d'étrangers, de pays parfois en guerre avec la France.

Mon amie Madame de Staël écrit des livres que l'Empereur n'apprécie pas : elle a été exilée et a dû partir vivre en Suisse. Je vais souvent la rejoindre là-bas, même si cela déplait à Napoléon. 

Quand les affaires de mon mari commencent à aller mal, l'Empereur refuse de nous aider. La banque fait faillite, et nous devons réduire nos dépenses. Nous vendons notre belle maison. Quelques années plus tard, nous nous séparerons même pour vivre : j'irai loger seule à l'Abbaye-au-Bois, et mon mari habitera avec des amis.

Je cesse d'organiser des fêtes, et je m'intéresse de plus en plus à l'art, à la littérature, à la philosophie.

 

L'Empereur ne me pardonne pas mon amitié avec Madame de Staël. Il m'exile à mon tour : en 1813, je dois quitter Paris. Je vais passer quelques mois à Lyon, puis je pars en Italie.

A Rome, je visite le Colisée, les sites antiques… Je vais aussi visiter Naples, où je suis invitée par la reine Caroline, la sœur de Napoléon, qui est devenue reine de Naples depuis que la France a conquis l'Italie.

Je rencontre à Rome le sculpteur le plus célèbre de l'époque : Antonio Canova. Nous devenons amis, je lui achète des sculptures et il fait mon portrait.

Il m'offre un des modèles en terre qu'il a faites pour une sculpture, les Trois Grâces !

Cela fait plus de deux ans que je suis partie de chez moi. Mais à Rome, j'apprends que Napoléon a été vaincu par les grands pays européens. Il est fait prisonnier. Je peux enfin rentrer à Paris ! Je suis si heureuse !

 

A-L Girodet, Portrait de Chateaubriand, 1809, huile sur toile, St-Malo, Musée d'histoire, © Photo Michel Dupuis, ville de Saint Malo.
A-L Girodet,
Portrait de Chateaubriand, 1809, huile sur toile, St-Malo, Musée d'histoire,
© Photo Michel Dupuis, ville de Saint Malo.

J'ai reçu une très bonne éducation. J'aime participer aux discussions politiques, scientifiques, littéraires.

Je tiens un salon : un jour par semaine, je reçois des artistes, des écrivains, des savants, des poètes. Nous discutons des problèmes de société, de politique, des dernières découvertes de la science.

Mon ami Lamartine vient lire ses poèmes. Mon ami Ampère vient parler de ses recherches sur l'électricité.

J'invite des chanteurs d'opéra, des musiciens, des danseurs, des comédiens à venir se produire devant mes invités. 

J'ai rencontré un écrivain, François-René de Chateaubriand. Notre histoire d'amour va durer vingt ans.

René écrit plusieurs livres et pièces de théâtre. Dans son livre le plus célèbre, Mémoires d'outre-tombe, il raconte sa vie dans cette époque pleine d'aventures. Il vient en lire des extraits dans mon salon.

F. Gérard, Corinne au Cap Misène, 1819-1822, Lyon, musée des Beaux-Arts
F. Gérard
Corinne au Cap Misène, 1819-1822, Lyon, musée des Beaux-Arts

J'aime la musique, je joue du piano, de la harpe, je chante. J'ai appris le dessin avec un peintre célèbre.

J'achète des tableaux et des sculptures. Je deviens une mécène, c'est-à-dire quelqu'un qui aime l'art et aide les jeunes artistes : je les fais connaître, je leur commande des œuvres. Je me constitue une belle collection d'art, au fil des ans : les portraits de mes amis, des sculptures d'artistes célèbres, comme Persée et Andromède.

Le prince de Prusse m'offre une peinture faite sur un livre qu'avait écrite mon amie Madame de Staël : Corinne ou l'Italie. C'est un tableau que j'adore : je le garde dans ma chambre, caché comme un trésor derrière des rideaux que je n'ouvre que pour ceux qui le méritent !

 

 

Mes dernières années

F-L. Dejuinne, La chambre de Madame Récamier à l'Abbaye-aux-Bois, 1826, Paris, musée du Louvre
F-L. Dejuinne
La chambre de Madame Récamier à l'Abbaye-aux-Bois, 1826, Paris, musée du Louvre

Les années ont passé. Mon mari est mort depuis vingt ans. Ma nièce Amélie, que j'ai élevée comme ma fille, s'est mariée. Je suis restée à l'Abbaye-aux-Bois ; de ma fenêtre je vois les arbres, les religieuses et les pensionnaires qui traversent le jardin. Beaucoup de mes amis ont disparu ; j'essaye de faire connaître leurs livres, d'entretenir leur mémoire. J'ai fait de mon salon un musée de l'amitié : j'ai leurs portraits autour de moi qui me parlent d'eux. Quant à moi, je suis fatiguée et je commence à perdre la vue. Mon bonheur, c'est quand Amélie vient me voir avec ses trois enfants. Je leur raconte ma vie, et tous les grands personnages que j'ai côtoyés : des princes et princesses de toute l'Europe. Du temps où j'étais une des plus belles femmes du monde….

 

Bloc contenu

Parcours dans l'exposition

Elle rencontra aux divers rangs de la société les personnages plus ou moins célèbres engagés sur la scène du monde ; tous lui ont rendu un culte ; sa beauté mêle son existence idéale aux faits matériels de notre histoire ; lumière sereine éclairant un tableau d'orage.

François René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe

 

1/ Les visages de Juliette

F.-L. Dejuinne, La chambre de Madame Récamier à l'Abbaye-aux-Bois (détail) , 1826, Paris, musée du Louvre, RMN © JG Berizzi
F.-L. Dejuinne
La chambre de Madame Récamier à l'Abbaye-aux-Bois (détail) , 1826, Paris, musée du Louvre, RMN
© JG Berizzi

Dans les dernières années du XVIIIe siècle, Juliette Récamier est une reine de la mode qui reçoit la haute société dans son luxueux hôtel particulier de la rue du Mont-Blanc. Écrivains et artistes qui fréquentent son salon contribuent largement à cette renommée en transmettant une représentation de la belle Lyonnaise alliant grâce et délicatesse.

Au temps de sa jeunesse, elle sollicite les portraitistes les plus célèbres : les peintres David et Gérard, ou le sculpteur lyonnais Chinard. Quelques années plus tard, elle inspire également le grand artiste néo-classique Canova. La confrontation de ces différentes représentations permet de mesurer l'apport de chacun d'eux et les diverses approches d'un personnage aux multiples facettes.

Rarement satisfaite de ses portraits, Juliette Récamier se fait pourtant représenter, souvent idéalisée, tout au long de sa vie. Sa volonté de maîtriser son image est sensible dans les rapports qu'elle entretient avec ses portraitistes ainsi que dans la diffusion de ses plus fameux portraits par le dessin, la gravure ou les moulages. Si certaines œuvres sont transmises à des proches en gage d'amitié ou d'affection, d'autres sont d'emblée accessibles à un public beaucoup plus large.

 

Une beauté à la mode

Le sculpteur lyonnais Joseph Chinard est un des portraitistes les plus célèbres de la fin du XVIIIe siècle et du début du 19e siècle. Il rencontre probablement les époux Récamier lors d'un de ses premiers séjours à Paris, au milieu des années 1790 et réside chez eux lors de son passage dans la capitale en 1801. Il sculpte plusieurs portraits de Juliette Récamier en buste, à mi-corps ou en médaillon. Si l'artiste travaille d'abord face à son modèle à une première réalisation en terre, il la décline ensuite avec des variantes, d'abord en plâtre, puis en marbre.

Les conditions précises d'exécution de ces œuvres ne sont pas connues, mais nous savons cependant que Juliette appréciait ces portraits. Malgré les variations d'une œuvre à l'autre, elle est montrée par Chinard comme une jeune femme sensuelle, mais pleine de retenue. Ses coiffures complexes incarnent l'élégance de la mode de son époque. La blancheur des marbres et la pose de « Vénus pudique » donnent un caractère gracieux et intemporel à ces représentations dont le succès se mesure à la prolifération des copies et moulages qui ont été réalisés au fil des décennies.

 

 

 

J.L. David, Juliette Récamier, 1800, Paris, musée du Louvre (c) RMN / © Droits réservés
J.L. David
Juliette Récamier, 1800, Paris, musée du Louvre (c) RMN /
© Droits réservés

Un tableau inachevé

Au sommet de sa gloire et de sa fortune, Juliette Récamier commande en 1800 son portrait à Jacques Louis David qui est alors l'artiste le plus célèbre de son temps.

Le peintre souhaite faire de ce projet une œuvre de grande ampleur. Fidèle à l'esprit néo-classique qui caractérise son style, il conçoit une œuvre rigoureuse et épurée, nourrie de références à l'antiquité par la pose et le mobilier choisis.

Malgré les longues séances de travail et l'implication du maître, le tableau restera pourtant inachevé. Soucieuse de contrôler sa représentation, Juliette aurait-elle fait preuve de trop d'exigences ? David lui-même semble ne pas avoir été satisfait de sa réalisation.

L'œuvre restera dans l'atelier du peintre où elle influencera ses jeunes élèves comme Jean Auguste Dominique Ingres.

Acquise dès 1826 par le neveu de Juliette, quelques mois après la mort de David, elle est revendue peu après au musée du Louvre : Juliette entrait ainsi de son vivant dans les collections nationales.

 
A. Canova, Juliette Récamier en Béatrice, 1819-1822, buste, marbre, Lyon, musée des Beaux-Arts © Lyon, MBA
A. Canova
Juliette Récamier en Béatrice, 1819-1822, buste, marbre, Lyon, musée des Beaux-Arts
© Lyon, MBA

Une tête idéale

Exilée de Paris par Napoléon, Juliette Récamier rencontre Antonio Canova lors d'un séjour à Rome en avril 1813. Une amitié étroite se noue très rapidement entre la belle Française et le plus célèbre des sculpteurs européens de sa génération.

Quelques mois plus tard, alors que Madame Récamier est de nouveau de passage à Rome, Canova lui présente deux bustes d'elle, dont un voilé, réalisés de mémoire. Très épurés, ces portraits s'inscrivent dans une recherche esthétique plus large menée par l'artiste depuis 1811 : il réalise une série de têtes idéales inspirées d'héroïnes de la tradition classique comme la muse Clio.

Particulièrement déroutée par son image très idéalisée, Juliette ne se reconnaît pas. Piqué au vif, l'artiste italien transforme l'identité du portrait voilé en évocation de Béatrice, la muse du poète italien Dante Alighieri, en lui ajoutant une couronne d'olivier.


Vénus alanguie

David n'ayant pu terminer le portrait de Juliette Récamier qu'il avait débuté, la jeune femme choisit de solliciter son élève François Gérard pour lui confier cette commande. La renommée du jeune peintre est alors grandissante et il s'impose comme l'un des tous meilleurs portraitistes de son temps, sollicité par la haute société européenne et les cercles du pouvoir.

La réalisation du tableau s'étale sur plusieurs années, préparée par différentes études qui montrent les recherches de l'artiste pour parvenir à sa composition finale. Juliette apparaît lascive, à demi-assise, invitant de son regard le spectateur, devant un décor de colonnade imaginaire. Cette image aussitôt célèbre est l'une des rares à avoir trouvé grâce aux yeux du modèle, qui fit réaliser plusieurs copies peintes ou dessinées d'après le tableau. Il devint une image « officielle » du personnage, diffusée par la gravure.

 

2/ L'entrée dans le monde

Pour les milieux de la nouvelle bourgeoisie, la période du Directoire (1795 à 1799) est marquée par un esprit de fêtes et de divertissement. Après les années sombres de la Terreur, la société se jette dans les plaisirs, autant pour oublier les heures sanglantes, que par hostilité envers l'éthique puritaine des révolutionnaires.

Les femmes, en particulier, jouent un rôle majeur dans ce renouveau de la vie mondaine : émancipées, privilégiant une mode extravagante et affichant une vie parfois dissolue, elles sont moquées sous le qualificatif de « merveilleuses ».

L'entrée de Juliette Récamier sur la scène publique s'inscrit dans ce contexte de liberté. Poussée par sa mère, elle reprend le salon que celle-ci animait et dans lequel se réunissent des hommes de lettres, les Lyonnais de passage à Paris, et autres gens du monde. Très vite, elle l'ouvre à d'autres milieux, n'hésitant pas à recevoir en même

temps les républicains, les aristocrates royalistes revenant d'exil, les jeunes généraux couverts de gloire et la nouvelle élite bonapartiste.

 
 
Robe d'après-midi, mousseline de coton, Premier Empire © Musée des Tissus de Lyon/ Photo Pierre Verrier
Robe d'après-midi, mousseline de coton, Premier Empire

3/ Une icône de mode

Dès ses premières apparitions publiques, sous le Directoire, Juliette use des codes vestimentaires de son époque pour maîtriser son image et devenir un véritable modèle d'élégance adulé et copié. Elle choisit les éléments de toilette les plus en vogue, en popularise certains, et se créé un personnage à la fois universel et particulier.

Malgré les changements constants de la mode, Juliette reste fidèle à elle-même : elle porte tout au long de sa vie des robes blanches simples souvent faites de coton et réchauffées de châles cachemires. Elle s'enroule aussi dans des voiles de mousseline et se pare presque uniquement de perles. Elle apparait ainsi, telle un ange ou une éternelle jeune fille. Affichant un décolleté souvent profond, elle joue parallèlement de la transparence des tissus pour créer la suggestion érotique.

Icône de mode du Directoire au Premier Empire, Juliette Récamier est ensuite reconnue par et pour son style devenu intemporel, juste équilibre de délicatesse, d'ambivalence et de raffinement simple. Par cette permanence, elle est résolument moderne.

Voir la vidéo Juliette Récamier et la mode.

 
 
 
 

4/ Les cercles de Juliette

La sociabilité et l'amitié sont au centre de la vie de Juliette Récamier. Durant plus d'un demi-siècle, elle sait rassembler autour d'elle les plus brillants esprits de son temps. Bien que les deux banqueroutes de son mari en 1805 et 1819 la privent de la majeure partie de ses moyens financiers, elle continue à recevoir avec autant de succès ses nombreux fidèles.

Son salon abandonne peu à peu son caractère mondain pour prendre de plus en plus nettement une orientation littéraire, sous l'impulsion de ses amis écrivains Madame de Staël, puis François René de Chateaubriand. Toutes les opinions politiques et toutes les origines s'y côtoient. Il faut à la maîtresse de maison déployer tous ses talents face au nombre toujours croissant de salons voyant le jour parmi la bonne société parisienne. Juliette sait développer plus qu'aucune autre de ses rivales son art de la séduction pour s'attacher ses hôtes. Des lectures, des concerts, des récitals sont organisés, qui sont autant d'occasions d'attirer de nouveaux venus. Grâce à cette exceptionnelle attractivité, alliée à une véritable renommée européenne, le salon de Juliette Récamier devient un exemple que suivront les femmes des générations suivantes.

Voir la vidéo Le cercle de Juliette Récamier.

 
 
C.S. de Sermenzy, Fleury François Richard, 1810, Lyon, musée des Beaux-Arts © Lyon, MBA
C.S. de Sermenzy
Fleury François Richard, 1810, Lyon, musée des Beaux-Arts
© Lyon, MBA

Les artistes

« Le plaisir vrai que lui faisaient éprouver les beautés de l'art ou de la poésie, l'admiration naïve qu'elle exprimait dans un langage délicat, étaient une sorte d'encens qu'artistes, poètes ou littérateurs aimaient fort à respirer », rapporte Amélie Lenormant au sujet de sa tante.

Juliette éprouve beaucoup de plaisir à fréquenter les artistes et à visiter leurs ateliers. Elle noue en particulier des liens étroits d'amitié avec plusieurs d'entre eux et marque un intérêt pour les arts en général.

Le peintre François Gérard, les sculpteurs Joseph Chinard, Clémence Sophie de Sermézy ou Antonio Canova comptent parmi ses fidèles, mais elle n'oublie pas de témoigner aussi son admiration envers les acteurs Talma et Rachel, ou la chanteuse Pauline Viardot, qui se produisent dans son salon.

 
 
J.-M. Bonnassieux, Pierre Simon Ballanche, 1849, Lyon, musée des Beaux-Arts © Lyon, MBA
J.-M. Bonnassieux
Pierre Simon Ballanche, 1849, Lyon, musée des Beaux-Arts
© Lyon, MBA

Le cercle proche et les Lyonnais

Juliette tient à garder auprès d'elle ses plus proches amis qui forment une cour de fidèles. Logés à proximité géographique de son domicile, ils composent une sorte de phalanstère, partageant en communauté quotidien et voyages. Le philosophe Pierre Simon Ballanche et l'écrivain Jean Jacques Ampère sont à la fois ses chevaliers servants et ses secrétaires particuliers. Ils partagent une même origine lyonnaise, qui constitue une introduction sûre auprès d'elle. Malgré son départ précoce de sa ville natale, Juliette n'en montre pas moins toute sa vie un attachement marqué envers celle-ci. Elle se fait un devoir d'accueillir chez elle ses compatriotes de passage à Paris ; son hôtel particulier constitue le point de ralliement de la communauté lyonnaise, autour des politiciens et hommes de lettres Camille Jordan et Joseph Marie de Gérando.

 

 

 

M.E. Godefroid, d'après François Gérard, Germaine de Staël, vers 1817,  Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon (c) RMN / © Droits réservés
M.E. Godefroid
d'après François Gérard, Germaine de Staël, vers 1817, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon (c) RMN /
© Droits réservés

Auprès de Madame de Staël

Juliette Récamier fait en 1798 la connaissance de Germaine de Staël. La femme de lettres tient alors l'un des salons intellectuels les plus brillants de Paris et affirme ses engagements politiques de plus en plus marqués à l'encontre du pouvoir de Bonaparte en voie d'évolution vers une dérive autoritaire.

Une amitié profonde naît entre les deux femmes, non exempte de quelques nuages liés au tempérament volontiers excessif de l'écrivain.

Exilée par Bonaparte en 1803, Madame de Staël se réfugie dans son château de Coppet, au bord du lac Léman, où elle réunit une société brillante et cosmopolite. En 1807, Juliette lui rend visite et côtoie l'effervescence intellectuelle du lieu où se croisent l'écrivain Benjamin Constant, l'historien Prosper de Barante, l'homme de lettres August Wilhelm Schlegel et le théoricien de l'économie Jean de Sismondi.

Le soutien fidèle qu'elle affiche malgré les circonstances envers son amie proscrite vaudra à Juliette les foudres de Napoléon et un ordre d'exil à quarante lieues de Paris en 1811.

 
 

5/ Décors et collection

Vue de l'exposition
Vue de l'exposition

Au temps de la puissance financière des Récamier, les arts sont mis à contribution par le couple pour conforter sa position sociale.

L'acquisition en 1798 d'un hôtel particulier situé rue du Mont-Blanc, dans le quartier à la mode de la Chaussée d'Antin à Paris, leur offre l'opportunité d'en faire un laboratoire du goût nouveau.

A travers ses choix d'aménagements intérieurs et les œuvres d'art qu'elle acquiert, Juliette exprime une préférence marquée pour un néo-classicisme raffiné et gracieux, librement inspiré de l'Antiquité.

Dans tout Paris, le goût de la maîtresse des lieux, à la pointe de la mode, est rapidement salué. Ce souci de Juliette d'évoluer et de recevoir dans un intérieur raffiné demeurera une constante au fil de ses habitations successives, et ce jusqu'à sa retraite à l'Abbaye-aux-Bois

 

L'hôtel de la rue du Mont-Blanc : les années fastes

Les Récamier confient la décoration de leur hôtel à un jeune architecte : Louis-Martin Berthault. Probablement aidé de Charles Percier, déjà réputé, le jeune homme imagine un décor harmonieux conçu comme un ensemble : boiseries, tentures, meubles exécutés par l'ébéniste Jacob, se répondent ou s'opposent par de subtils jeux de matériaux, de couleurs et de miroirs. Les pièces de réception jouent un rôle clé dans la demeure.

Comme cela se pratiquait alors, Juliette accueille également dans sa chambre à coucher, désireuse d'y faire admirer son goût pour les dernières tendances. Reproduits et diffusés, les aménagements que l'architecte Berthault fait réaliser pour l'hôtel Récamier sont vite connus et célébrés. Comme l'écrivait la duchesse d'Abrantès, la chambre à coucher a « servi de modèle à tout ce qu'on a fait en ce genre » et le mobilier de Juliette Récamier provoqua en effet une telle admiration qu'il fut rapidement imité.

Voir la vidéo L'influence de Juliette Récamier sur les arts.

 
 

Amateur et mécène

Les œuvres d'art qui peuplent le quotidien de Juliette Récamier sont souvent des témoignages d'affection ou d'admiration. Ainsi, l'amitié qui l'unit à Antonio Canova s'incarne dans l'esquisse en terre cuite des Trois Grâces modelée et offerte par le maître italien. Elle sollicite François Gérard pour rendre hommage à Madame de Staël. De même, c'est pour son ami intime, François René de Chateaubriand, qu'elle commande un relief sur le thème de son roman Les Martyrs au sculpteur Pietro Tenerani.

Une même unité de goût néo-classique s'exprime à travers cet ensemble d'œuvres réunies au fil du temps par Juliette. Leurs thématiques littéraires laissent cependant entrevoir un pré-romantisme naissant par l'expression des sentiments, de la mélancolie et de l'ailleurs.

 
 
Le refuge de l'Abbaye-aux-Bois

De mauvaises affaires provoquent en 1819 une seconde faillite de Jacques Rose Récamier. Contrainte par cette situation financière difficile, Juliette choisit alors de s'installer dans le couvent de l'Abbaye-aux-Bois situé rue de Sèvres à Paris, dont les religieuses louent une partie à des dames seules de la haute société.

Elle occupe d'abord un petit appartement de deux pièces au troisième étage, avant de déménager pour un autre plus vaste au premier en 1829, où elle peut disposer ses œuvres d'art comme elle le souhaite. Elle continue à recevoir et son salon devient l'un des plus importants en Europe dans le domaine de la littérature.

Présidé par Chateaubriand, à qui Juliette dévoue alors son existence, il est fréquenté par de jeunes écrivains comme Lamartine, Sainte-Beuve, Balzac, et contribue à leur reconnaissance.

 
 
F. Gérard, Corinne au Cap Misène (détail), 1819-1822, Lyon, musée des Beaux-Arts © Lyon, MBA
F. Gérard
Corinne au Cap Misène (détail), 1819-1822, Lyon, musée des Beaux-Arts
© Lyon, MBA

Corinne au cap Misène

Juliette Récamier et Auguste de Prusse commandent en 1819 à François Gérard un tableau représentant un épisode du roman de Madame de Staël Corinne ou l'Italie. Publiée en 1807, l'œuvre raconte l'idylle malheureuse entre une poétesse inspirée et célèbre, et Lord Oswald Nelvil, personnage mélancolique.

Gérard réalise une peinture de très grand format aux accents lyriques. S'il lui a été proposé de représenter Corinne sous les traits de Madame de Staël, l'artiste n'a pas souhaité se conformer à cette contrainte et a donné au personnage une apparence idéale.

Offert par Auguste de Prusse à Juliette, l'œuvre devient, dans l'appartement de l'Abbaye-aux-Bois, le témoignage du culte voué par la maîtresse des lieux à son amie défunte en 1817. Toile de fond de toutes les réceptions qui s'y déroulent, cette peinture connaît une célébrité immédiate et donne naissance à de nombreuses répliques, copies ou estampes qui vont populariser cette image.

 

6/ Derniers visages et postérité d'un mythe

R. Magritte, Perspective, Madame Récamier de David, 1951, Ottawa, musée des Beaux-Arts du Canada © Musée des beaux-arts du Canada
R. Magritte
Perspective, Madame Récamier de David, 1951, Ottawa, musée des Beaux-Arts du Canada
© Musée des beaux-arts du Canada

Âgée d'une cinquantaine d'année, Juliette ne renonce pas aux portraits, mais une certaine idéalisation de son visage est souvent perceptible dans ses représentations. Lorsqu'elle décède du choléra à soixante-douze ans, l'auteur de son dernier portrait, Achille Devéria, dessine des traits apaisés et épurés.

Plusieurs hommes de lettres qui l'ont côtoyée et aimée ont eux aussi contribué à faire de Juliette une icône. Si les biographies écrites par Benjamin Constant et Pierre Simon Ballanche sont restées confidentielles, elles ont cependant nourri le livre que Chateaubriand lui consacre, dans les Mémoires d'outre-tombe, publiés à partir de 1849. Écouter un extrait des Mémoires d'Outre-Tombe (1'20'').

Cependant, plus que les témoignages fascinés de tous les personnages de talent qu'elle a rassemblés autour d'elle, la mémoire collective retient la prolifération d'une image qui a investi l'espace public. Son style gracieux reconnaissable entre tous s'est imposé au détriment de la connaissance d'une personnalité sensible et complexe. Certains portraits sont devenus mythiques et l'un des plus célèbres, celui de David, est réinterprété par le surréaliste René Magritte, près d'un siècle après la mort du modèle.

 

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