Mme de Staël, extrait de "Corinne ou l’Italie"

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Mme de Staël, extrait de "Corinne ou l’Italie"

C’était sur le cap Misène que Corinne avait fait préparer les danses et la musique. Rien n’était plus pittoresque que l’arrangement de cette fête. […]

L’air qu’on respirait était ravissant ; il pénétrait l’âme d’un sentiment de joie qui animait tous ceux qui étaient là, et s’empara même de Corinne. On lui proposa de se mêler à la danse des paysannes, et d’abord elle consentit avec plaisir ; mais à peine eut-elle commencé que le sentiment les plus sombres lui rendirent odieux les amusements auxquels elle prenait part, et s’éloignait rapidement de la danse et de la musique, elle alla s’asseoir à l’extrémité du cap sur le bord de la mer. Oswald se hâta de l’y suivre ; mais comme il arrivait près d’elle, la société qui les accompagnait les rejoint aussitôt pour supplier Corinne d’improviser dans ce beau lieu. Son trouble était tel en ce moment, qu’elle se laissa ramener vers le tertre élevé où l’on avait placé sa lyre, sans pouvoir réfléchir à ce qu’on attendait d’elle. […]

Du haut de la petite colline qui s’avance dans la mer et forme le cap Misène, on découvrait parfaitement le Vésuve, le golfe de Naples, les îles dont il est parsemé, et la campagne qui s’étend depuis Naples jusqu’à Gaëte, enfin la contrée de l’univers où les volcans, l’histoire et la poésie [sic] ont laissé le plus de traces. […]

Elle accorda sa lyre et commença d’une voix altérée. Son regard était beau ; mais qui la connaissait comme Oswald pouvait y démêler l’anxiété de son âme : elle essaya cependant de contenir sa peine, et de s’élever, du moins pour un moment, au-dessus de sa situation personnelle. […]

La lueur douce et pure de la lune embellissait son visage ; le vent frais de la mer agitait ses cheveux pittoresquement, et la nature semblait se plaire à la parer. Corinne cependant fut tout a coup saisie par un attendrissement irrésistible : elle considéra ces lieux enchanteur, cette soirée enivrante, Oswald qui était là, qui n’y serait peut-être pas toujours, et des larmes coulèrent de ses yeux. Le peuple même, qui venait de l’applaudir avec tant de bruit, respectait son émotion, et toujours attendaient en silence que ses paroles fissent partager ce qu’elle éprouvait. Elle préluda quelque temps sur sa lyre, et ne devisant plus son chant en octaves, elle s’abandonna dans ses vers à un mouvement non interrompu.

Germaine de Staël, Corinne ou l’Italie, 1807, livre XIII, chapitre IV