Lazareth de Toulon, le 28 décembre 1829
Grâces au grand Amon-Ra, Mon cher ami, me voici en rade de Toulon depuis le 5 au soir, revenu d’Alexandrie sur la corvette du Roi l’Astrolabe après une traversée de 19 jours !
Les Dieux immortels m’ont continué leur protection jusques à la seconde cataracte ; ils me devaient cela puisque j’ai visité en toute dévotion tous leurs vieux temples existans sur le sol de l’Égypte et de la Nubie. J’ai été parfaitement secondé par les jeunes peintres associés à mon pèlerinage et mes portefeuilles enflés outre mesure font foi de leur talent comme de leur zèle. Je rapporte un immense recueil de notes et de copies d’inscriptions hiéroglyphiques que j’ai faites en séjournant partout où il subsistait un pan de muraille antique avec sculptures. Joignez à cela 1500 dessins de toute grandeur représentant tous les bas-reliefs et tableaux historiques sculptés dans les palais de [Th]èbes et les monuments de la Nubie et une belle suite d’objets [antiqu]es destinés à augmenter la richesse du Musée Charles [X. Vous] aurez ainsi une idée des résultats de mon voyage.
J’ai aussi à vous proposer une partie de Débauche égyptienne.
Il m’est impossible de passer par Lyon en allant à Paris et je sais que vous aviez eu la bonté de me préparer un logement chez vous. Serait-ce trop exiger de votre amitié que de vous proposer de venir vous même faire une piste à Aix, où je me rendrai immédiatement à ma sortie de quarantaine, vers le 23 ou le 24 janvier. C’est un voyage de huit jours au plus : en nous réunissant ainsi le 24 aux pieds de la statue du bon Roi René je vous montrerai toutes mes richesses et vous serez en votre qualité de Dévot Osirien, le premier à en jouir en France.
J’attends, mon cher ami, votre réponse avec impatience : que le [G]rand Ammon vous inspire la résolution d’accomplir mon [vœu]. Je vous embrasse donc de cœur et d’âme.
J.F. Champollion le Jeune