Lettre de Jacques-Joseph Champollion-Figeac à François Artaud (Grenoble le 29 juin 1811)

Lettre de Jacques-Joseph Champollion-Figeac à François Artaud
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Grenoble le 29 juin 1811


                Le secrétaire de la Faculté des Lettres,
                   Professeur de littérature grecque,

J’approuve tout ce que vous avez fait, mon cher confrère, pour me procurer le dessin de l’Épiphanie ; j’aurai soin de vous faire passer par la plus prochaine occasion les 18 fr. que vous avez la bonté d’avancer pour cet objet. Ce qui m’importe fort, c’est que ce dessin m’arrive sans retard, Sajou imprimeur du Magasin m’a déjà écrit pour me le demander, et attends pour lui répondre. J’espère que vous m’en donnerez les moyens, en me faisant passer le trait et le monument qui appartient au cabinet de la ville et que je ne puis pas, par cette raison, céder à M. Revoil. Je cherche quelque chose qui puisse lui convenir.

Je vous remercie de l’accueil que vous avez fait al Signor Ceaglio ; c’est un excellent homme ; mettez-moi à même de vous en témoigner ma reconnaissance.
J’ai vérifié toutes nos médailles ROM. ET AVG. Nous en avons beaucoup. Parmi celles d’Auguste je n’ai remarqué d’autres différences que celles-ci : les trois mots sont séparés par des points dans les unes et ne le sont pas dans les autres ; les colonnes sur lesquelles reposent les figures, sont plus ou moins élevées ; sur une médaille la hauteur des colonnes ne dépasse pas celle de l’autel[,] l’autel lui-même est plus ou moins élevé, mais les ornemens sont toujours les mêmes ; les couronnes qu’élèvent les deux figures posées sur les colonnes sont avec ou sans bandelettes flottantes. Il en est de même des médailles de Tibère et de Claude ; vous savez au reste que l’on ne trouve pas deux médailles qui se ressemblent, et parmi celles que j’ai sous les yeux, il en est dont la fabrique est belle et d’autres où règne une barbarie bien remarquable. Ce que je puis vous indiquer de plus saillant dans ces médailles ce sont des contremarques. Une médaille d’Auguste a au bas de la tête TEPA ; au revers est encore une contremarque, mais usée ; sur une médaille de Tibère est à côté de la tête une contremarque ; elle a été, je crois, publiée par votre Colonia qui a regardé les lettres de la contremarque comme l’abréviation du nom de Tibère ; j’ai la même médaille, mais par malheur pour votre jésuite, elle porte TIBO qui ne peut pas faire TIBERIUS. Quant aux têtes il y a une grande variété de légendes ; si vous vous y arrêtiez, vous pourriez m’envoyer l’indication de toutes celles que vous avez ; si je trouvais avoir quelque chose de plus, je vous le communiquerais avec empressement. Nos modèles sont moyen bronze et petit ; nous en avons deux en grand bronze, mais fausses. Si vous voulez voir tout ou partie de ces médailles, je vous les enverrai avec plaisir. J’irai voir exprès un de mes amis, M. de Pina, qui a une très jolie collection, et qui est arrivé d’Italie depuis trois jours ; je vérifierai son médailler pour vous.

Je ne vous conseille pas de hasarder votre lecture des lettres gravées sur le cachet égyptien que vous m’avez communiqué pour la première fois. On ne peut pas plus dire que c’est ISIS que tout autre mot. Faites attention que ce mot est en 4 lettres avec la terminaison grecque qui pourrait bien n’être pas égyptienne. Le nombre des lettres ne prouve donc rien. Au reste, tout ce qu’ont écrit Caylus, La Sauvagère et surtout Kircher sur les antiquités égyptiennes ne vaut plus rien (j’excepte ce que Caylus a dit des techniques de l’art.) Les grandes découvertes qui résultent de l’Expédition d’Égypte doivent changer entièrement les idées que les antiquaires du dernier siècle nous avaient faites sur l’Égypte. Je vous conseille de retarder votre explication de cette pierre dont je désirerai connaître la matière.

Quant aux lettres phéniciennes, remarquez bien qu’il n’y a pas dans le monde connu une seule inscription incontestablement phénicienne ; on ne sait donc pas ce que c’est que l’alphabet phénicien ; tout ce qu’ont dit à ce sujet Scaliger, Grotius, et tant d’autres est dénué de preuves et l’inscription du bas-relief égyptien de Carpentras, n’est pas plus phénicienne que latine. Comment penser que les Égyptiens qui avaient une écriture alphabétique avant que les Phéniciens eussent quelque célébrité, comme le prouvent les bandelettes écrites et les manuscrits trouvés dans les momies de Thèbes la plus ancienne de toutes, comment croire que les Égyptiens eussent emprunté l’écriture et la langue d’une autre nation ? Ceci nous mènerait trop loin ; Je finis en vous renouvellant l’assurance de mon attachement.

Champollion-Figeac

Je serais fort obligé à M. Artaud s’il voulait bien avoir la complaisance de m’envoyer une nouvelle empreinte de la pierre égyptienne, celle qu’il a eu la complaisance de communiquer à mon frère étant un peu gâtée. J’ai l’honneur de présenter mes respects à M. Artaud.

Jean-François Champollion Jeune